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Fin de règne au Burkina Faso

Une victoire des frustrés


Des tombeurs de Blaise Compaoré se sont embrassés en pleurant. Ils se sentent spoliés, dépouillés de leur victoire et sevrés d’un pouvoir.


Par Assane SAADA


Il a voulu poursuivre sa régence de vingt-sept ans, il s’est vu déboulonner. Le mal de Blaise Compaoré appelait un remède que seul un peuple souverain a su lui administrer. Un médicament d’une efficacité totale contre un déni de démocratie, une thérapeutique saluée comme une merveille politique. Quelle patience il a fallu aux Burkinabés pour en finir avec leur président ! Leur courage a suffi à bouleverser Ouagadougou et à faire plier un roc altier, impassible mais pitoyable dans ce dernier tripatouillage constitutionnel qui lui a valu une déculottée. Le burlesque de la situation : des députés se terrent pour sauver leur peau, un capitaine abdique, un lieutenant-colonel rectifie promptement un général et aligne les gradés de l’armée sur son destin autoproclamé de chef d’État. Au voleur, crie une partie des acteurs politiques par qui tout ce charivari est arrivé. Quelle raison finirait par l’emporter?

Le spectacle est tout de même beau et rappelle un certain 3 janvier 1966. Ce jour-là, Maurice Yaméogo, 1er président de la Haute-Volta (devenue Burkina-Faso), capitulait face au soulèvement populaire des Voltaïques (aujourd’hui burkinabés). Une contestation fédérée par un front intersyndical soutenu par la chefferie traditionnelle marchait sur l’Assemblée nationale. En tête de ce cortège qui battait le macadam pour réclamer « du pain, de l’eau et de la démocratie », la jeunesse : des collégiennes du cours Normal et des élèves du lycée Philippe Zinda Kaboré. Les forces de l’ordre auraient alors pactisé avec les manifestants qui réclamèrent la démission du président de la République et appelèrent l’armée à prendre le pouvoir. Et le chef d'état-major de l’armée, le lieutenant-colonel Aboubacar Sangoulé Lamizana, d’assumer la charge de chef de l’État à travers une annonce faite à la radio. Quarante-huit ans après, l’histoire bégaie au Burkina-Faso.


La lame de fond qui vient d’emporter Blaise Compaoré est la même qui, le 23 juin 2011, avait stoppé le président sénégalais Abdoulaye Wade dans son élan de modifier la constitution pour briguer un 3e mandat. « Faux ! Pas forcé », lisait-on, entre autres, sur les banderoles du Mouvement du 23 juin (M23). Un slogan de la contestation sénégalaise qui n’aurait pas détonné dans le décor ouagualais du 31 octobre 2014. Un cri de ralliement qui, demain, pourrait retentir au Bénin, au Rwanda, au Congo, en RDC (République démocratique du Congo)… Une résistance citoyenne face aux forfaitures de certains dirigeants qui recourent au tripatouillage constitutionnel, en complicité avec des députés acquis à leur félonie, pour s’éterniser au pouvoir. Même si chaque peuple marche selon son histoire, quand la population en a marre, elle martèle bien que ça suffit en prenant le balai pour nettoyer le pouvoir. Et toute la symbolique est là dans le nom des organisations de société civile nées dans le feu de la contestation (Y a en marre -mouvement de contestation sénégalais -, Balai citoyen - mouvement de contestation burkinabé -, etc.).


La messe est dite pour Blaise Compaoré que certains de ses tombeurs se sont embrassés en pleurant. Ils se sentent spoliés, dépouillés de leur victoire et sevrés d’un pouvoir qu’ils auraient dû exercer ne serait-ce que le temps d’une transition. Certainement qu’ils ne s’étaient pas projetés au-delà d’une simple démission du président de la République du Burkina-Faso. Sans doute aussi que c’est là le mal de l’opposition en Afrique. Le régime en place lui impose souvent des combats qui l’accaparent et ne l’épargnent plus un tant soit peu pour se préparer à ramasser le fruit mûr qui tombe quand elle finit de bien secouer l’arbre, voire le pouvoir chancelant. S’opposer serait aussi prévoir, aller à la conquête du pouvoir et être prêt à l’assumer sans tergiversation aucune.

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